Mars
En mars, quand s'achève l'hiver,
Que la
campagne renaissante
Ressemble
à la convalescente
Dont
le premier sourire est cher;
Quand l'azur, tout frileux encore,
Est de
neige éparse mêlé,
Et que
midi, frais et voilé,
Revêt
une blancheur d'aurore;
Quand l'air doux dissout la torpeur
Des
eaux qui se changeaient en marbres;
Quand
la feuille aux pointes des arbres
Suspend
une verte vapeur;
Et quand la femme en deux fois belle,
Belle
de la candeur du jour,
Et du
réveil de notre amour
Où sa
pudeur se renouvelle,
Oh! Ne devrais-je pas saisir
Dans
leur vol ces rares journées
Qui
sont les matins des années
Et la
jeunesse du désir?
Mais je les goûte avec tristesse;
Tel un
hibou, quand l'aube luit,
Roulant
ses grands yeux pleins de nuit,
Craint
la lumière qui les blesse,
Tel, sortant du deuil hivernal,
J'ouvre
de grands yeux encore ivres
Du
songe obscur et vain des livres,
Et la
nature me fait mal.
René François Sully Prudhomme