LA MORT DU CHIEN
Derrière l'abri du grand portail,
le beau chien loup se languit:
altier, superbe et bien nourri,
mais seul, enchaîné; il survit.
Ses yeux sont vides et sombres,
il n'ose même plus aboyer
de peur de réveiller des ombres
dans le grand beau parc foudroyé.
Un soir de lune, près de la mare,
il voit passer l'ombre d'un loup,
crotté, efflanqué, sans amarres,
heureux, libre à le rendre jaloux.
Sans beau collier autour du cou,
sourire retroussant ses babines,
il se sauve prestement, tel un fou
poursuivi par une meute canine.
Le chien se dresse, sa langue pend,
il tire sur la chaîne, manque d'air,
pendant qu'une larme se suspend
à son morne regard noyé de glaire.
Un instant, il oublie sa longue chaîne
et s'élance pour rejoindre le loup;
mais la chaîne s'enroule, tout à coup,
et se coince dans une fente de la benne.
Suspendu dans l'élan freiné de son vol,
le beau chien gris au superbe poitrail
vient s'empaler sur les flèches du portail
et rend l'âme, le regard enfin en envol.